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Il faut remiser notre cadavre : nous nous engouffrons sous la
porte de la Pitié.
Le directeur est dans la cour& il me reconnaît illico.
Je suis allé à lui.
« Comptez-vous me livrer ?
 Dans cinq minutes je vous répondrai. »
Je les ai trouvées presque courtes, ces cinq minutes. À peine
ai-je eu le temps de défriper ma chemise, de redresser mon col, et
de me peigner avec mes doigts. Tant de choses à faire ! la toilette
à rafistoler, la phrase à léguer, l attitude à prendre !
Le directeur reparaît et s adresse au gardien :
« Rouvrez la grille. »
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Il a tourné les talons, à bout d efforts, et ne voulant pas que
mon geste le remerciât.
Le dada boiteux se remet en route.
« Où allons-nous ?
 Rue Montparnasse. »
Chez le secrétaire de Sainte-Beuve ! Il me cachera, si je peux
arriver jusqu à lui.
Mais nous traversons, avec notre rosse qui râle, les coins où
j ai vécu vingt ans, où j ai passé mardi avec le bataillon du Père
Duchêne, où l on n a vu que moi pendant les trois premiers jours
de la semaine&
Voilà que le courage du cocher est fourbu.
« Je veux sauver ma peau& j en ai assez ! Descendez&
adieu ! »
Il a enlevé la bête d un terrible coup de fouet, et a disparu.
Où me blottir ?
Voyons ! il y a, passage du Commerce, à dix pas, un hôtel que
j ai habité autrefois, le chemin désert est par la rue de l Éperon et
la ruelle !
Il y a déjà cinq jours que le quartier est pris ; peu de
pantalons de garance.
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Je monte l escalier. On beugle dans la maison.
« Oui, c est moi, le capitaine Leterrier, qui vous dis que votre
Vingtras a crevé comme un lâche ! Il s est traîné par terre ! a
pleuré ! a demandé grâce ! & Je l ai vu ! ! »
Je tape doucement, la logeuse vient ouvrir.
« C est moi, ne criez pas ! Si vous me chassez, je suis mort&
 Entrez, monsieur Vingtras. »
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Voilà des semaines que j attends, du fond de mon trou, une
occasion de leur filer entre les doigts.
Leur échapperai-je ? & je ne crois pas.
Par deux fois, je me suis trahi. Des voisins ont pu voir sortir
ma tête, blême comme celle d un noyé.
Tant pis ! si l on me prend, on me prendra !
Je suis en paix avec moi-même.
Je sais, maintenant, à force d y avoir pensé dans le silence,
l Sil fixé à l horizon sur le poteau de Satory  notre crucifix à
nous !  je sais que les fureurs des foules sont crimes d honnêtes
gens, et je ne suis plus inquiet pour ma mémoire, enfumée et
encaillotée de sang.
Elle sera lavée par le temps, et mon nom restera affiché dans
l atelier des guerres sociales comme celui d un ouvrier qui ne fut
pas fainéant.
Mes rancunes sont mortes  j ai eu mon jour.
Bien d autres enfants ont été battus comme moi, bien d autres
bacheliers ont eu faim, qui sont arrivés au cimetière sans avoir
leur jeunesse vengée.
Toi, tu as rassemblé tes misères et tes peines, et tu as amené
ton peloton de recrues à cette révolte qui fut la grande fédération
des douleurs.
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De quoi te plains-tu ? &
C est vrai. La Perquisition peut venir, les soldats peuvent
charger leurs armes  je suis prêt.
& & & & &
Je viens de passer un ruisseau qui est la frontière.
Ils ne m auront pas ! Et je pourrai être avec le peuple encore,
si le peuple est rejeté dans la rue et acculé dans la bataille.
Je regarde le ciel du côté où je sens Paris.
Il est d un bleu cru, avec des nuées rouges. On dirait une
grande blouse inondée de sang.
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Novembre 2004

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