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« puisque je dis et nomme et dénomme tant de choses à la
fois; puisque j'ai l'air d'intituler ceci alors qu'en même temps,
retirant d'une main ce que je donne de l'autre, j'intitule de
surcroît cela, puisque je feins la référence et la nomination;
puisque, fictive, ma référence n'est pas vraiment une référence,
pas la bonne en tout cas; puisqu'elle est bien une référence
mais reste peut-être illégitimement titrée; puisque son référent
n'est pas nécessairement celui qu'on croit, eh bien je, en tant
que titre, suis de la fausse monnaie ». Mais évidemment il ne
le dit pas, autrement il se discréditerait, il le dit sans le dire, il
ne dit pas « je », « je suis », ou « je ne suis pas »; il déborde
l'ordre des propositions ou autopositions assurées du type « sum »
1. Essais, Livre 1, ch. XXVI, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard
1950, p. 183.
127
Donner le temps
ou « cogito sum » : sans quoi il n'y aurait plus de fausse monnaie
possible. Mais en même temps, pour qu'il y ait fausse monnaie,
il faut qu'il dise, et qu'il dise : voilà ce que je suis, je ne mens
pas, ou je ne mens pas en disant que je mens. Le titre s'intitule,
s'autonome mais sans le dire, sans dire « je », en le disant sans
le dire et le sans est ici irréductible. Tout le jeu du « je » y
accrédite son autorité. La fausse monnaie, dirions-nous pour
résumer, c'est le titre du titre, le titre sans titre du titre (sans
titre). Le titre est le titre du texte et de son titre. Mais il ne
donne pas ses titres en disant « Je suis (de) la fausse monnaie »,
la fausse monnaie n'étant ce qu'elle est qu'à ne pas se donner
comme telle et à ne pas apparaître comme telle, à ne pas exhiber
ses titres. Et en tant qu'il oblige, il nous oblige pourtant à nous
demander encore, au moins, ce qu'il en est et s'il y a de la
monnaie, de la vraie, de la fausse, de la fausse vraie et de la
vraiment fausse.
Une autre bordure se divisait déjà en indéfinis suppléments
d'abymes. Le mouvement datif de la dédicace déplaçait le texte,
le livrait ou le délivrait depuis une place qui, rappelons-le,
n'est ni intérieure à la fiction (« La fausse monnaie » ou Le
spleen de Paris dans son ensemble) ni simplement extérieure à
cette fiction. La lettre-dédicace (en deux versions) de Baudelaire
à « Mon cher ami » (Arsène Houssaye) travaillait certes en tous
sens la question du tout et des parties, du modèle (A. Bertrand,
etc.). Mais quand elle donne à déchiffrer par exemple une figure
du serpent (« Dans l'espérance que quelques-uns de ces tronçons
seront assez vivants pour vous plaire et vous amuser, j'ose vous
dédier le serpent tout entier »), on peut encore être tenté de
lire Baudelaire avec Mauss. Notons-le ici, en ce lieu de tran-
sition, parce que le passage le plus remarquable à cet égard
associe dans la même scène le clan des Serpents et une certaine
offrande du tabac. Or nous lirons tout à l'heure La fausse
monnaie, entre autres intrigues, comme une histoire de tabac.
Le passage de Mauss concerne un cérémonial répandu dans
128
Poétique du tabac
« toutes les civilisations des Indiens de l'Amérique du Nord ».
L'esprit, les esprits, les fantômes sont de la fête, ils sont les
premiers invités de la cène à laquelle ils prennent part : « Chaque
clan cuit des aliments, prépare du tabac pour les représentants
des autres clans, lors de la fête de clan. Et voici par exemple
des fragments des discours du chef du clan des Serpents : " Je
vous salue; c'est bien; comment pourrais-je dire autrement? Je
suis un pauvre homme sans valeur et vous vous êtes souvenus
de moi. C'est bien...Vous avez pensé aux esprits et vous êtes
venus vous asseoir avec moi.. .Vos plats vont être bientôt remplis,
je vous salue donc encore, vous, humains qui prenez la place
des esprits..., etc. " Et lorsque chacun des chefs a mangé et
qu'on a fait les offrandes de tabac dans le feu, la formule finale
expose l'effet moral de la fête et de toutes ses prestations : " Je
vous remercie d'être venus occuper ce siège, je vous suis recon-
naissant. Vous m'avez encouragé... Les bénédictions de vos
grands-pères (qui ont eu des révélations et que vous incarnez),
sont égales à celles des esprits. Il est bien que vous ayez pris
part à ma fête " » (p. 264-265).
Comment se pose la question du don et du datif dans La [ Pobierz całość w formacie PDF ]
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« puisque je dis et nomme et dénomme tant de choses à la
fois; puisque j'ai l'air d'intituler ceci alors qu'en même temps,
retirant d'une main ce que je donne de l'autre, j'intitule de
surcroît cela, puisque je feins la référence et la nomination;
puisque, fictive, ma référence n'est pas vraiment une référence,
pas la bonne en tout cas; puisqu'elle est bien une référence
mais reste peut-être illégitimement titrée; puisque son référent
n'est pas nécessairement celui qu'on croit, eh bien je, en tant
que titre, suis de la fausse monnaie ». Mais évidemment il ne
le dit pas, autrement il se discréditerait, il le dit sans le dire, il
ne dit pas « je », « je suis », ou « je ne suis pas »; il déborde
l'ordre des propositions ou autopositions assurées du type « sum »
1. Essais, Livre 1, ch. XXVI, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard
1950, p. 183.
127
Donner le temps
ou « cogito sum » : sans quoi il n'y aurait plus de fausse monnaie
possible. Mais en même temps, pour qu'il y ait fausse monnaie,
il faut qu'il dise, et qu'il dise : voilà ce que je suis, je ne mens
pas, ou je ne mens pas en disant que je mens. Le titre s'intitule,
s'autonome mais sans le dire, sans dire « je », en le disant sans
le dire et le sans est ici irréductible. Tout le jeu du « je » y
accrédite son autorité. La fausse monnaie, dirions-nous pour
résumer, c'est le titre du titre, le titre sans titre du titre (sans
titre). Le titre est le titre du texte et de son titre. Mais il ne
donne pas ses titres en disant « Je suis (de) la fausse monnaie »,
la fausse monnaie n'étant ce qu'elle est qu'à ne pas se donner
comme telle et à ne pas apparaître comme telle, à ne pas exhiber
ses titres. Et en tant qu'il oblige, il nous oblige pourtant à nous
demander encore, au moins, ce qu'il en est et s'il y a de la
monnaie, de la vraie, de la fausse, de la fausse vraie et de la
vraiment fausse.
Une autre bordure se divisait déjà en indéfinis suppléments
d'abymes. Le mouvement datif de la dédicace déplaçait le texte,
le livrait ou le délivrait depuis une place qui, rappelons-le,
n'est ni intérieure à la fiction (« La fausse monnaie » ou Le
spleen de Paris dans son ensemble) ni simplement extérieure à
cette fiction. La lettre-dédicace (en deux versions) de Baudelaire
à « Mon cher ami » (Arsène Houssaye) travaillait certes en tous
sens la question du tout et des parties, du modèle (A. Bertrand,
etc.). Mais quand elle donne à déchiffrer par exemple une figure
du serpent (« Dans l'espérance que quelques-uns de ces tronçons
seront assez vivants pour vous plaire et vous amuser, j'ose vous
dédier le serpent tout entier »), on peut encore être tenté de
lire Baudelaire avec Mauss. Notons-le ici, en ce lieu de tran-
sition, parce que le passage le plus remarquable à cet égard
associe dans la même scène le clan des Serpents et une certaine
offrande du tabac. Or nous lirons tout à l'heure La fausse
monnaie, entre autres intrigues, comme une histoire de tabac.
Le passage de Mauss concerne un cérémonial répandu dans
128
Poétique du tabac
« toutes les civilisations des Indiens de l'Amérique du Nord ».
L'esprit, les esprits, les fantômes sont de la fête, ils sont les
premiers invités de la cène à laquelle ils prennent part : « Chaque
clan cuit des aliments, prépare du tabac pour les représentants
des autres clans, lors de la fête de clan. Et voici par exemple
des fragments des discours du chef du clan des Serpents : " Je
vous salue; c'est bien; comment pourrais-je dire autrement? Je
suis un pauvre homme sans valeur et vous vous êtes souvenus
de moi. C'est bien...Vous avez pensé aux esprits et vous êtes
venus vous asseoir avec moi.. .Vos plats vont être bientôt remplis,
je vous salue donc encore, vous, humains qui prenez la place
des esprits..., etc. " Et lorsque chacun des chefs a mangé et
qu'on a fait les offrandes de tabac dans le feu, la formule finale
expose l'effet moral de la fête et de toutes ses prestations : " Je
vous remercie d'être venus occuper ce siège, je vous suis recon-
naissant. Vous m'avez encouragé... Les bénédictions de vos
grands-pères (qui ont eu des révélations et que vous incarnez),
sont égales à celles des esprits. Il est bien que vous ayez pris
part à ma fête " » (p. 264-265).
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